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  • Photo du rédacteurLa plume est l'oiseau

Pour que les mots reviennent à la vie (2/3)

C’est maintenant que l’aventure commence. Sous mes pieds, du sable mêlé à des galets et des branchages humides. Devant moi, une forêt d’arbres, de plantes et de fleurs indescriptibles. La grandeur et la diversité des éléments qui peuplaient ce monde s’avouait inénarrable. Chaque couleur se révélait d’une nuance microscopique et à la fois bien concrète. Tout était… plus. Je n’ai pas d’autre mot que cette étrange syllabe si pauvre de sens et si riche à la fois.


Guidés par la brise, comme des avions de papier, trois petites cartes voletèrent vers moi, et se posèrent parterre. Trois cartes blanches, des cartes provenant d’un jeu quelconque. Trois cartes. L’une représentait un arlequin rouge, sur la deuxième était dessiné un clown noir et la dernière n’était qu’une feuille blanche. Je les détaillai, tentant d’en retirer le sens. Tout à coup, quelque chose se jeta contre moi me fit lâcher un petit cri. Je recherchai le missile, qui se trouvait être un galet emballé dans un papier jauni.

Sur ce parchemin déchiré, une inscription :


« Qui sommes-nous ? Trois infants, rouge, noir et blanc. »

Qu’est-ce que cette énigme pouvait-elle bien signifier ? Assurément, elle s’apparentait aux trois personnages illustrés sur mes cartes. Je scrutai chaque fragment du décor dans lequel je me trouvais, à l’affût d’un signe qui m’aiderait à percer le mystère. Rien.  Je me résolus finalement à me mettre en route, munie de ces quatre outils imaginaires. Je m’engouffrai dans le vaste Royaume d’Émeraude, serrant fermement dans ma main mon fidèle bâton de marche. Pas après pas, sa mine aiguisée se plantait gracieusement dans la terre blanche. Mes pensées sont une forêt dans laquelle je m’étais égarée. Je marchais sur les feuilles mortes de mes souvenirs. Dans le calme du lieu résonnait ces mots :

« Qui sommes-nous ? Trois infants, rouge, noir et blanc. »


J’avançais, à la recherche d’autres mots abandonnés. Sur un rocher partiellement recouvert de mousse, je lus une inscription gravée dans sa chair :

« Les dés sont jetés. »


Cette phrase, comme une alerte, me glaça le sang. Je me sentais prise au piège dans un épais brouillard. J’avais la froide impression de m’être laissée entraîner dans une impasse. Le nuage qui emprisonnait ma tête était une illusion, or frapper dans le vide n’était que tentative vouée à l’échec. Je m’immobilisai, inspirant profondément dans la vapeur, afin de l’absorber et de me laisser absorber par elle. L’énigme était la clé. Le sens paraît dans l’essence. « Les dés sont jetés. » Reprenons depuis le début. L’expression fait référence à la destinée, à quelque chose d’immuable, une impasse. Les dés sont l’objet central des jeux de société. Ce sont eux qui décident du sort des pions. Mais alors, qui est la main qui a lancé le dé ? Qui est le pion dans le jeu ? Ou, à plus grande échelle, la question est : qui est le maître, qui est l’esclave ?


Je savais désormais que les cartes que je détenais faisaient bien partie du jeu. Deux questions persistaient : qui étaient ces trois énigmatiques personnages représentés dans mon tarot ? Et pourquoi l’enfant blanc était-il invisible ?


La brume s’était évaporée. Perçant le silence, une mélodie jouait, pourtant ce n’était pas de la musique. Elle ressemblait plus à un rire. Plus je portais d’attention à ce ricanement, plus il me paraissait d’une onde maléfique. A l’instar d’un insecte enfermé dans un bocal, je sentais braqués sur moi les yeux d’un Dieu qui se riait de mon impuissance. Je sentais sa présence, comme une diabolique reine surplombant la cité du haut de sa tour. La peur monta en moi. Dans une réaction primitive, je me mis à courir. Je ne savais pas où j’allais, mais je courrais. Sur le chemin, des épines griffèrent ma peau. Je trébuchai plusieurs fois, m’écorchant les genoux, mais je me relevai, inépuisable. Soudain, je fus entraînée par une force que je ne pouvais retenir. Je chutai.


Je me redressai et détaillai la nature immobile. Dans le silence se brisait quelque cristaux, mêlés aux chants des oiseaux. Autour de moi frémissait joyeusement l’eau d’un lagon. Je levai les yeux. Là, dans ses draps transparents ondulait une Naïade. Je m’approchai d’elle quand soudain, face à moi, je découvris mon reflet, d’une pâleur terreuse, au centre duquel, comme deux jades, mes yeux brillaient de passion. Juste là, entre deux doigts, d’une teinte de chlorophylle semblable à mes iris me chatouillait. un trèfle à quatre feuilles. Cette minuscule tige était arrosée d’un faisceau de lumière. J’aurais pu écraser cette frêle pousse de ma main. Mais non, elle se dressait là. Une fleur écartèlerait l’asphalte pour atteindre le soleil, aussi fragile soit-elle. Dans mes mains, ce porte-bonheur se révélait être une arme puissante. La voix diabolique redoublait d’effort, mais elle buttait contre mes tympans. J’étais devenue sourde à ses bruits, comme quand les injures des autres n’atteignent plus le gagnant du jeu.


Je comprenais désormais le sens de cet étrange jeu de piste. La vie est une chasse au trésor. Malgré les obstacles, le maître n’a aucun pouvoir sur celui qui ne suit pas le plan. Dans le Jeu de la Société, les règles sont écrites pour nous forcer à nous plier face aux murs de papier. Le Jeu ne veut pas de gagnant, seulement des passants.


Je ne savais toujours pas où tout cela aboutirait. J’avais avec moi mes gardiens Rouge, Noir et Blanc et un porte-bonheur. Contre moi se dressait le maître et son esclave. Je levai les yeux, en quête d’un signe du destin.

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